La Martinique au monde

29 septembre 2014

La Martinique au monde

La plupart des Antillais partent un jour vers l’Europe, le Canada ou les Etats-Unis pour y travailler ou étudier…J’ai fait, il y a longtemps déjà le chemin inverse. Née en France, d’une mère blanche et d’un père noir avec lequel je n’ai pas grandi, j’ai été très tôt confrontée à un questionnement identitaire.  J’ai connu les Antilles relativement tard, j’avais 27 ans, ce fut un choc émotionnel intense..Les femmes que je croisais avaient un teint qui allait de la cannelle au noir ébène et j’étais simplement l’une d’entre elles.  Pour la première fois, je n’étais plus singulière, en minorité…J’ai su que je reviendrai… j’ai finalement fait le choix  de m’établir en Martinique, d’évacuer les barrières liées à la couleur de ma peau.

                                  Le respect (à défaut) d’amour…     

 Les choses ne sont pourtant pas si simples : la société martiniquaise reste marquée par la persistance d’une hiérarchie  socio-raciale créée au début de la période esclavagiste. Depuis quelques années l’actualité scientifique ( en sciences sociales et humaines) est riche. Une anthropologue, Ulrike Zander a donné récemment une conférence qui avait pour thème: « Conscience Nationale et identité en Martinique »; ses travaux confirment un constat généralement admis ici, la communauté Békée, ( les anciens colons)  » une élite économique et sociale qui représente 1% de la population martiniquaise, reste refermée sur elle-même et réfractaire aux unions mixtes et au métissage, ( le mariage avec une personne de couleur reste une mésalliance et exclut de fait le membre de la communauté)… Des attitudes similaires sont observées chez les Mulâtres, la bourgeoisie de couleur, laquelle constitue une véritable élite intellectuelle et politique ». Au quotidien, les choix de ces communautés n’ont qu’une incidence toute relative puisqu’elles vivent repliées sur elles-mêmes.La majorité des martiniquais vit dans le respect des autres communautés (installées depuis plusieurs générations, généralement commerçants ( juifs, syriens libanais, chinois… ),ou  les travailleurs originaires des îles proches ( Saint-Lucie, Dominique ou plus loin Haïti). Mais comme les métropolitains ( français,  récemment arrivés), en réalité, les différentes communautés vivent les unes à- côté des autres plutôt que les unes avec les autres…

En Martinique, pour évoquer ou décrire quelqu’un, on désigne son type, ( comme on dirait ailleurs un blond, un roux, un brun), ici, on dira le chabin(e), ( peau très claire), le mulâtre (métis), le cooli ( indien), ( mélange noir/indien) le nègre ( peau noire)…et toutes les nuances que peut donner le métissage, capresse (sorte de métisse aux longs cheveux), chapé cooli (indien/noir)…Si cette hiérarchie socio-raciale opère toujours, la plupart des Martiniquais ayant vécu en France disent avoir perçu véritablement le racisme là-bas..

Courte histoire de la Martinique contemporaine

La Martinique a 410 000 habitants, les chiffres de la diaspora ne sont pas connus mais on peut l’évaluer à beaucoup plus.

Toutes les familles martiniquaises sont concernées par l’émigration; De 1963 à 1982, avec le BUMIDOM ( bureau pour le développement des migrations dans les départements d’Outre Mer), le SMA (service militaire adapté), destiné à contrôler une jeunesse trop revendicative, le gouvernement français a organisé l’expatriation de milliers de personnes, » vidant le pays de ses forces vives » et organisant parallèlement une émigration  venue de France. Aimé Césaire avait à l’époque qualifié cette opération de « génocide par substitution ». En 1982, le Bumidom a été remplacé par l’ANT( agence nationale pour l’insertion et la promotion des travailleurs d’Outre Mer), elle même remplacée en 2010 par LADOM ( agence de l’Outre Mer pour la mobilité). « Au lieu de privilégier l’emploi sur place, les gouvernements successifs ont incité l’émigration des jeunes vers la France « 

Le Pen empêché d’atterrir par les Martiniquais

Toutes les familles martiniquaises sont concernées par l’émigration, elles observent avec inquiétude et exaspération la banalisation du discours haineux en France, se sentent concernés par la stigmatisation permanente des « immigrés » par  des « responsables » politiques, de certains « intellectuels » et le coupable mutisme de » personnalités » sensées nous représenter..Notre statut de département d’Outre Mer a des conséquences singulières. Nous sommes par exemple beaucoup mieux informés de ce qui se passe dans n’importe quelle région de France plutôt que dans les îles voisines. Un ressortissant européen peut résider en Martinique, en Guadeloupe ou en Guyane sans difficulté alors que les nos voisins immédiats (Sainte-Lucie, La Dominique ) sont tenus d’avoir un visa pour entrer sur le territoire. Je vis depuis longtemps en Martinique et j’ai vu cette année pour la première fois des tags « votez Front National »  peints sur les murs des voies à grande circulation. Il faut savoir qu’à une époque pas si lointaine où Jean-Marie Le Pen se présentait aux élections présidentielles, il a tenté de venir deux fois en Martinique et chaque fois, la population s’est mobilisée, a envahi le tarmac de l’aéroport pour empêcher l’avion d’atterrir. Ce que prônait le discours du Front-National pour nos régions était notamment la stigmatisation « d’étrangers » qui ont la même Histoire, la même culture ( Dominicains,  Sainte-Luciens,  Haïtiens), un discours qui a de plus en plus de  résonance ici comme en Guadeloupe. Ce discours  a pour origine une certaine délinquance qu’une partie de la population attribue aux jeunes Sainte-Luciens et Dominicais…

J’ai voulu rencontrer réellement cette Martinique, cette autre part de moi-même que je ne connaissais pas. Rencontrer son Histoire, ses espoirs, ses colères…J’ai compris que ce peuple, venait de naître ( l’abolition de l’esclavage, c’était il y a à peine plus de 150 ans…) et qu’ensuite, chaque fois qu’il a essayé de relever la tête, on lui a imposé un système de valeurs qui n’était pas le sien. J’ai compris ici, paradoxalement,  que j’étais légitime là-bas (en France), qu’il était essentiel de connaître mon Histoire, toute mon Histoire, celle qu’on n’apprend pas à nos enfants, à tous nos enfants, et qui pourtant est aussi l’histoire de France.

 

Un petit bout de territoire qui pourrait avoir à dire au Monde

 Il est urgent que surgisse une autre voie, une autre alternative, un discours éclairé, d’ouverture au monde, et notamment au monde des idées. Le Martiniquais est en majorité croyant et pratiquant; il va à l’église ou au temple, croise le juif qui se rend à la synagogue, salue le musulman qui va prier à la mosquée…Tout se passe dans un respect mutuel.  La Martinique, ce petit bout de territoire pourrait avoir à dire au Monde…

Et ainsi que le disait Michel Rolph-Trouillot:

« Des parcelles familiales de l’arrière pays jamaïcain aux religions afro-brésiliennes ou afro-cubaines, de la musique de jazz de la Louisiane à la vitalité de la peinture haïtienne ou à la conscience historique des Marrons du Surinam , les manifestations des cultures afro-américaines nous apparaissent comme le Produit d’un perpétuel miracle »

 

Pour aller plus loin, un très beau numéro de la revue L’Homme sur le « Miracle Créole »

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